Journaliste, DJ, cheffe d’entreprise, photographe amateure, infatigable chineuse… Isabelle Fringuet est dure à classer. C’est justement ce que l’on aime, à la French Craft, et sans surprise cette nîmoise de cœur cultive son jardin artisanal en soutenant des savoir-faire aussi beaux que bons. Rencontre avec une craftangel qui tente avec beaucoup d’humilité de soutenir des familles d’artisans avec son site LUCE Shop.
FCG. Votre parcours est riche d’aventures, et plutôt éloigné du Craft a priori… comment est venue la rencontre avec l’artisanat ?
I.F. Ouuuh ! ça date… Il faut remonter à mon enfance en Algérie et des pérégrinations dans le pays. Je me souviens de poteries « domestiques » soulignées de motifs berbères, ceux des tatouages arborés par les femmes sur leurs visages et sur leurs mains. Je me souviens de religieuses dans un couvent sis au fin fond de la Kabylie qui commercialisaient les travaux de vannerie des femmes du village. Mon intérêt, au sens de l’attention que j’y ai porté, s’est très certainement développé à partir de là. Je n’ai jamais visité un pays, et j’ai eu la chance d’en visiter pas mal, sans chercher systématiquement les produits de l’artisanat local…
FCG. Quel type d’artisanat recherchez-vous principalement ?
I.F. Tout m’intéresse. Poteries, tissage, vanneries… Mon intérêt se porte justement sur leurs aspects utilitaires et essentiels. Sur leur caractère pérenne, voire éternel. Ils représentent selon moi un écho du passé toujours présent, un bout d’humanité précieuse, un fil fragile tendu au travers des temps. Ils incarnent aussi et avant tout les artisans qui les ont fabriqués, modelés avec patience, savoir-faire et une maîtrise qui force le respect.
FCG. Nous sommes loin du fonctionnel… c’est donc purement symbolique ?
I.F. Oui et non. Pour moi, c’est imbriqué. Ces objets sont utilisés dans la vie quotidienne pour cuisiner, servir les plats, cuire la semoule à la vapeur ou bien la viande sous des cendres ardentes ; pour couvrir des sols en terre battue, pour recouvrir un enfant, pour amuser les petits ou encore honorer des ancêtres ou des divinités. Ils sont en plus aujourd’hui détournés de ces premiers usages pour devenir une source de revenus essentiels à la survie de familles entières… pour notre plus grand plaisir, pour ma plus grande émotion. J’ai pas mal de ces objets chez moi, disposés un peu partout, ils m’arrachent un sourire chaque fois que je les croise. Inutile de préciser que j’y trouve ce que m’apporte aucun produit « autre », si ce n’est dans les tableaux que je glane ici et là… Souvent à l’occasion de voyages également. Art-artisanat, j’ai décidément du mal à faire la différence.
FCG. Peut-être parce que c’est la même chose à vos yeux ?
I.F. Je viens d’aller vérifier la définition de l’un et de l’autre… Concernant l’art, il s’agirait « d’œuvres humaines destinées à toucher les sens et les émotions du public », concernant l’artisanat, cela concernerait « la production ou transformation de produits grâce à un savoir-faire hors contexte industriel de masse, et en général par un ou un.e artisan.e qui en assurerait la production et la commercialisation ». Bref, comme dirait l’autre, la réponse et dans la question ! Des objets d’artisanat, même produits en série, provoquent de l’émotion et, toujours selon moi, la différence entre les deux est le caractère unique de l’un et celui parfois multiple de l’autre…
FCG. Serait-ce aussi art de vivre ? Ou une culture ? Une philosophie ?
I.F. Vous pouvez répéter la question ?! Que dire, que dire… Des arts de vivre, des cultures, et des savoirs–faire intemporels qui survivent envers et contre tout… Oui, une certaine philosophie. Ce qui me vient le plus immédiatement à l’esprit en tout cas, c’est la joie. Leur belle joie, leur grande humilité. Et leur véritable bonheur à les fabriquer, à les fabriquer « bien », à vanter leurs qualités, leurs finitions. Nous en revenons à la philosophie là non ? Une certaine philosophie de la vie, simple et joyeuse, en dépit de nombreuses difficultés…
FCG. Car ces savoir-faire sont menacés de disparaitre ?
I.F. Je suis suffisamment âgée aujourd’hui pour constater l’évolution des choses… Ce que l’on dénomme la mondialisation est un réel danger pour la survie de ces artisans. Les modèles dits traditionnels de vie qu’ils véhiculent tendent à s’effacer au profit d’autres métiers, d’autres activités plus faciles, parfois plus lucratives ou tout simplement plus respectées, malheureusement. Mais encore aujourd’hui dans une île comme Bali, c’est en apprenant à coudre et à broder des produits d’artisanat –des sacs, des poupées – que les mamans de Balimums épargnent à leurs enfants la mendicité dans les rues…
FCG. Est-ce le point central de votre engagement ?
I.F. Oui. Ou tout simplement parce que j’admire leur savoir-faire, parce que cette admiration me motive à faire savoir leur savoir-faire… Parce que je les ai rencontrés et que nous sommes devenus amis. Leur disparition serait un drame pour moi, mais gardons à l’esprit que la chute de l’un entraine les autres. Le point commun entre tous ces artisanats est la façon dont ils sont fabriqués : à la « mano », et à l’aide d’outils que l’on peut considérer comme rudimentaires. Abdulileh, le « Maître des Babouches », partenaire de LUCE, travaille accroupi sur son minuscule tabouret de bois avec des outils façonnés juste à côté par les menuisiers et les ferronniers du souk. C’est un cercle vertueux… qu’il faut absolument préserver !
FCG. Que diriez-vous à quelqu’un qui voudrait en faire son métier ?
I.F. Je dirai « fonce ! » et surtout « ne te retourne pas ». Car il y a dans ces métiers une forme indéniable de création, de liberté, d’autonomie. Et tant d’occasion de belles rencontres ! Mais c’est un réel choix de vie. Une vie qui peut sembler plus hasardeuse, plus compliquée, mais une vraie vie. Là, je pense à mon amie Anne-Céline, artiste-artisane aux multiples talents, revenue s’installer dans sa Baie de Somme natale et qui – même si cela lui rapporte moins – a retrouvé tout le sens de sa création dans un environnement qui lui est cher.
«A piece of precious humanity, a fragile thread stretched through time»
Journalist, DJ, business manager, amateur photographer, tireless hunter… Isabelle Fringuet is hard to classify. This is exactly what we love, at the French Craft, and unsurprisingly this « nimoise » of heart cultivates her artisanal garden by supporting skills that are as beautiful as they are amazing. Meeting with a craft-angel who tries with great humility to support the families of craftsmen with her LUCE Shop site.
FCG. Your career is rich in adventures, and a priori rather far from Craft … how did you meet craftsmanship?
I.F. Ouuuh! It’s been a long time ago… We have to go back to my childhood in Algeria and peregrinations in the country. I remember “domestic” pottery underlined with Berber patterns, inspired by tattoos women wear on their faces and on their hands. I remember theses nuns in a convent located in the depths of Kabylia who marketed the basketry work of the women of the village. My interest, in the sense of the attention I paid to it, most certainly developed from there. I have never visited a country, and I have had the chance to visit quite a few, without systematically looking for local handicrafts …
FCG. What type of crafts are you mainly looking for?
I.F. Everything interests me. Pottery, weaving, basketwork , broidery… My interest is precisely in their utilitarian and essential aspects. On their perennial, even eternal character. In my opinion, they represent an echo of the ever-present past, a precious piece of humanity, a fragile thread stretched through time. They also and above all embody the craftsmen and women who make them, modeled with patience, a know-how and a mastery that inspires respect respect.
FCG. We are far from the functional … so is it purely symbolic?
I.F. Yes and no. For me, it’s intertwined. These objects are used in everyday life for cooking, serving dishes, steaming semolina or meat under burning ashes; to cover dirt floors, to dress a child, to amuse the little ones or to honor ancestors or deities.
They are also now diverted from these early uses to become a source of income essential to the survival of entire families … for our greatest pleasure, for my greatest emotion. I have quite a few of these objects in my house, scattered all over the place, they make me smile every time I see them. Needless to say, I find there what no « other » product gives me, except in the paintings that I glean here and there … Often on trips as well. Art-craftsmanship, I definitely find it hard to tell the difference.
FCG. Maybe because it’s the same to you?
I.F. I just went to check the definition of one and the other… Concerning art, it would be « human works intended to touch the senses and emotions of the public », concerning craftsmanship, that would concern « the production or transformation of products thanks to know-how outside a mass industrial context, and in general by a craftsman who would ensure their production and marketing ».
In short, as we could say, the answer and in the question! Handicrafts, even mass-produced items, cause emotion and, always in my opinion, the difference between the two is the uniqueness of one and the sometimes multiple of the other …
FCG. Could it also be the art of living? Or a culture? A philosophy?
I.F. Can you repeat the question?! What to say, what to say… Arts of living, cultures, and timeless know-how that survive against all odds… Yes, a certain philosophy. What comes to mind most immediately, anyway, is joy. Their beautiful joy, their great humility. And their true happiness in making them, in making them “well”, in praising their qualities, their finishes. We come back to philosophy there, don’t we? A certain philosophy of life, simple and joyful, despite many difficulties …
FCG. Because this know-how is threatened with disappearing?
I.F. I am old enough today to see how things are going … What we call globalization is a real danger to the survival of these artisans. The so-called traditional models of life that they convey tend to fade away in favor of other professions, other easier activities, sometimes more lucrative or simply more respected, unfortunately. But even today in an island like Bali, it is by learning to sew and embroider handicrafts – bags, dolls – that the mothers of Balimums spare their children from begging in the streets …
FCG. Is this the central point of your commitment?
I.F. Yes. Or quite simply because I admire their know-how, because this admiration motivates me to share their know-how … Because I met them and we became friends. Their disappearance would be a tragedy for me, but let’s keep in mind that the fall of one brings about the others. What all these crafts have in common is the way they are made: « a la mano », and using tools that can be considered rudimentary.
Abdulileh, the “Master of Babouches*”, partner of LUCE, works squatting on his tiny wooden stool with tools fashioned next to it by the carpenters and ironworkers of the souk. It is a virtuous circle … which must absolutely be preserved!
*slippers-mules
FCG. What would you say to someone who wants to make it their job?
I.F. I will say “go for it! « And above all » do not look back « . Because there is in these professions an undeniable form of creation, freedom and autonomy. And so many opportunities for great encounters! But it’s a real life choice. A life that may seem more hazardous, more complicated, but a real life. There, I think of my friend Anne-Céline, artist-craftswoman with many talents, returned to settle in her native Baie de Somme and who – even if it brings her less – has rediscovered all the meaning of her creation in an environment that is dear to her.
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